Jacques Séguin, un hussard de la République
Est-ce parce qu’il avait vu le jour au printemps 1945, à quelques jours du 8 mai ? Toute sa vie, Jacques Séguin n’aura cessé de parcourir les chemins de l’histoire, de la mémoire et de la citoyenneté. Jacques Séguin, c’était l’engagement fait homme, que ce soit dans sa vie professionnelle, au sein de l’Education nationale pendant 40 ans, ou dans la vie associative, de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) à la Fédération des Médaillés de la Jeunesse et des Sports, en passant par l’Association des Déportés, Internés et Familles de disparus (ADIF), l’Union des Associations de Combattants et Victimes de Guerre ( UDAC), les auditeurs de la défense nationale (IHEDN) , les Palmes académiques (AMOPA), les Amis de la gendarmerie, la fondation du maréchal de Lattre, le conservatoire de la résistance, ou encore les amis du musée du sous-officier de l’ENSOA, les Porte-drapeaux, les anciens de Fontanes, les Réservistes citoyens…
Ses engagements peuvent sembler multiples et divers. Pourtant, ils sont plus cohérents qu’il n’y parait. Et ce dénominateur commun, c’est l’histoire, dans ses dimensions pédagogiques, culturelles, et civiques. Car, géographe de formation, Jacques Séguin n’en était pas moins avant tout un grand passionné d’histoire.
Certes, il a suivi des études de géographie à Paris, une ville d’ailleurs dont il connaissait toutes les bouches de métro, et l’histoire qui va avec. Inspecté en géographie lors d’une leçon en 4ème sur Londres, son inspecteur avait souligné qu’il faisait de la bonne géographie, actuelle, dynamique, intelligente. Mais la géographie, c’est aussi de l’histoire dans l’espace.
Bien plus qu’un simple enseignant d’histoire, Jacques Séguin était totalement engagé dans la mission de service public qu’il avait choisie, montant des projets avec ses collègues, incarnant l’histoire en faisant venir des témoins dans ses classes, en les intéressant au Concours National de la Résistance et de la Déportation ( CNRD), ou en les guidant vers des lieux de mémoire et d’histoire, Verdun, le Struthof, Strasbourg, les sites du débarquement en Normandie ou Oradour sur Glane. Dans les années 90, nos avions ensemble organisé plusieurs années de suite, entre 3 collèges, des stages pour faire bénévolement de l’autoformation sur les outils informatiques pour enseigner l’histoire et la géographie.
Il avait aussi, depuis plus de 40 ans, rejoint l’association nationale des professeurs d’histoire et de géographie (APHG) dont il partageait le combat incessant pour promouvoir et, souvent, défendre la place de la discipline dans les programmes d’enseignement. Au niveau national, il était membre du comité national, des commissions collège puis civisme, et avait un temps été chargé de mission. Au niveau régional, à Poitiers, il avait été l’un des porteurs des journées nationales de l’histoire et de la géographie, les Agoras, en 2004. Secrétaire de l’association, il a été de toutes les actions de l’APHG usant même 5 présidents successifs. En février dernier, pour préparer une journée de formation à Niort sur la guerre d’Algérie et la bande dessinée, nous avions rencontré Benjamin Stora à Paris dans son bureau de la cité de l’histoire de l’immigration. Ces jours-ci, nous finissions de préparer une sortie d’histoire-géographie pour la régionale de l’APHG à Bordeaux pour octobre prochain…
Un engagement en amenant un autre, le combattant pour le civisme et la citoyenneté qu’il était n’avait jamais fui les responsabilités qui se présentaient à lui et il les assumait sans faille et sans compter son temps, avant son passage à la retraite, et, encore bien davantage, après.
Le fil rouge de l’histoire se retrouve dans tous ses engagements.
Il était ainsi l’une des chevilles ouvrières du Mémorial de Mazières en Gâtine en l’honneur des deux-sévriens morts dans les conflits d’après 1945, et nous avions préparé des panneaux historiques pour accompagner ce Mémorial. Il était aussi acteur du prix d’histoire pour les collégiens de la fondation de Lattre de Tassigny, et fondateur du rallye citoyen des collégiens des Deux-Sèvres, l’un des premiers en France. Il travaillait aussi avec le conservatoire de la résistance et de la déportation de Thouars, préparait des expositions et des interventions toujours à caractère historique et portant sur les 2 guerres mondiales, ses thèmes de prédilection.
Nous organisions aussi tous les deux chaque année depuis plus de 15 ans, avec le Trinôme de l’Académie de Poitiers, un stage académique de formation à l’enseignement de la défense et de la sécurité dans les collèges et les lycées. Lorsque nous revenions ensemble en voiture de cette journée, et parfois même dès l’aller, nous échafaudions déjà le contenu et l’organisation de la journée de formation suivante pour l’année d’après…Nous étions, la veille de son décès, en train de finir de préparer cette journée prévue pour février 2020 à La Rochelle.
C’est peu dire si, pour un retraité, ses journées étaient bien remplies ! Lors de ses déplacements en train entre Paris et Niort, il sortait son ordinateur portable et rédigeait compte-rendus, projets et courriers. Le soir, dans le bureau de son domicile, à Saint Symphorien, il alternait messages électroniques, rédaction de fichiers, et préparation d’interventions sur des thèmes historiques car il allait aussi volontiers dans les écoles qui le sollicitaient. Autre outil essentiel pour Jacques, son téléphone ne le quittait guère.
Mais nous n’entendrons plus, dans les réunions à venir, quelques mouettes s’envoler parfois de son téléphone…Certes, il lui arrivait aussi de gagner Châtelaillon, son port d’attache et d’adoption, au sud de La Rochelle. Mais, marin de coeur et toujours sur le pont, il s’était investi dans la SNSM et le comité d’animation du port !
Nul n’est irremplaçable, dit-on, parfois un peu vite. Jacques ne sera pas remplacé tant son investissement était exceptionnel, sa capacité de travail et son sens de l’organisation impressionnants. Il était ainsi passé maître dans l’art d’organiser des cérémonies. Mais la dernière cérémonie à laquelle il a participé, elle a été pour lui… Jacques repoussait sans cesse les limites de ce qu’il pouvait s’imposer, apôtre de la rigueur et du respect, mais aussi affable et bon vivant, ami sûr et constant…
Avec le décès de Jacques Séguin, c’est bien plus qu’un militant de l’histoire qui disparait, c’est un véritable hussard de la république.
Inhumé à Châtelaillon, entre terre et mer, iI va enfin connaître le repos… Trop tard, certes, beaucoup trop tard… Trop tôt, surtout, beaucoup trop tôt…
Né à Champs sur Marne le 19 avril 1945, Jacques Séguin est décédé le 12 juillet 2019. Il avait 74 ans.
Guy Brangier