L’eau, bien commun de l’humanité

Qu’y a-t-il de plus important que l’eau ? La réponse est évidente en quelques grands chiffres : les océans représentent plus de 70% de la superficie de notre planète bleue alors que les terres émergées par déduction en représentent moins de 30%. L’être humain est quant à lui constitué à plus de 50 % d’eau. Il n’est pas étonnant que les Anciens ait compté l’eau, à côté de la terre, de l’air et du feu, parmi les quatre éléments qu’ils considéraient comme principes constitutifs de tous les corps.

Comme l’exprime magnifiquement Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des Hommes (1939), l’eau est source de vie sur terre : « Eau, tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peut pas te définir, on te goûte, sans te connaître. Tu n’es pas nécessaire à la vie, tu es la vie. Tu nous pénètres d’un plaisir qui ne s’explique point par les sens. Avec toi rentrent en nous tous les pouvoirs auxquels nous avions renoncé. Par ta grâce, s’ouvrent en nous toutes les sources taries de notre cœur. Tu es la plus grande richesse qui soit au monde, et tu es aussi la plus délicate, toi si pure au ventre de la terre. »


L’eau a permis l’éclosion de la vie et le développement de civilisations et de cultures. Dans Le Nil et la Civilisation égyptienne (1926), l’égyptologue Alexandre Moret dépeint avec beaucoup de poésie la terre d’Égypte comme une « oasis créée par le Nil, aérée par le vent du Nord, verdoyante de prairies, dorée par les moissons, rouge du sang des vignes, tout ce paradis d’eau, de fruits, de fleurs entre deux déserts torrides ». La crue du Nil apportait régulièrement chaque année ses bienfaits et rythmait, en trois saisons, le calendrier égyptien en lui-même un hymne à la vie : l’inondation, la germination et la chaleur. Mais la crue est aussi destructrice, l’eau emportant tout sur son passage. La création du barrage d’Assouan et de l’immense lac Nasser a permis de dompter le fleuve.

L’eau est aussi vecteur de communication. L’eau apporte la vie mais elle facilite aussi les échanges et contribue ainsi activement à l’éclosion des civilisations. La vallée du Nil en est encore un bel exemple, mais aussi la Mésopotamie le long du Tigre et de l’Euphrate, les colonies grecques autour de la mer Égée ou encore l’Empire romain autour de la mer Méditerranée, « mare nostrum » pour rester dans le monde antique. Une civilisation n’est pas pérenne pour autant, nous le savons bien : Paul Valéry l’a écrit avec force dans Variété (1924) : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».


Aujourd’hui plus que jamais le problème de l’eau est celui de l’accès à l’eau potable. Saint-Exupéry écrivait fort justement toujours dans Terre des Hommes : « On peut mourir à deux pas d’un lac d’eau salée ». L’Afrique et l’Australie sont les continents les plus touchés par la pénurie d’eau même si l’accès à des sources d’eau potable améliorées est assurée dans cette dernière à 100%. Dans L’Avenir de l’eau. Petit précis de mondialisation (2008), Eric Orsenna relate le témoignage d’un éleveur : « La seule couleur de la sécheresse, c’est le jaune. Ma vallée est restée jaune deux ans, ça vous dit quelque chose? Entièrement, totalement jaune, feuilles des eucalyptus exceptées ! Et que voulez-vous qu’elles fassent, les bêtes, dans une vallée jaune ? Elles meurent une à une. »

Quelle promenade autour du monde que ce Petit précis de mondialisation, d’Australie à la Chine en passant par Singapour, l’Inde, le Bangladesh, mais aussi le Sénégal et ailleurs ! Montée des eaux avec son lot de populations déplacées, sans ressources et sans toit ici, maladies infectieuses véhiculées par une eau insalubre là, constructions de barrages comme celui des Trois Gorges en Chine. Sans oublier, précise Eric Orsenna, la réalité d’une accélération spectaculaire des menaces et des tensions par exemple dans les bassins du Gange-Brahmapoutre, l’Afrique australe ou la frontière extrême-orientale de la Russie et de la Chine.

Fiera Milano 2015 : irrigation à l’ancienne au pavillon des Nations Unies 

« Au commencement de toute humanité est l’eau. Au commencement de toute dignité, de toute santé, de toute éducation, de tout développement. Dans l’ordre des priorités, rien ne précède l’accès à l’eau. Et l’accès à l’eau n’est rien si ne lui est pas joint un réseau d’assainissement. » Ce propos d’Eric Orsenna fait écho à celui de Laudato si’ (2015) : « …l’accès à l’eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu’il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une condition pour l’exercice des autres droits humains. Ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres qui n’ont pas accès à l’eau potable, parce que c’est leur nier le droit à la vie, enraciné dans leur dignité inaliénable ».

Il est permis d’espérer, car, selon l’expert international Gérard Payen, « la question de l’eau est enfin devenue une priorité mondiale ». Et un peu partout dans le monde des équipes sont à l’œuvre pour trouver des réponses innovantes à la poussée de la désertification ou de la pollution comme en témoigne l’intéressante enquête, Une planète pour demain, rapportée dans les colonnes de La Croix durant plusieurs semaines en 2015 : recherche de solutions pour les zones arides en Tunisie, culture du riz plus respectueuse de l’écosystème dans le nord de la Thaïlande (« Au début, les voisins nous prenaient pour des dingues. Et puis ils ont vu les arbres repousser, l’eau redevenir propre. »),…

La culture hors-sol de fraises dans les gouttières sur le toit du pavillon espagnol.

Espoir encore, la trente-quatrième exposition universelle consacrée au thème de l’alimentation et de la nourriture, qui s’est tenue à Milan du 1er mai au 31 octobre 2015. Nombre de pavillons nationaux montraient les recherches en cours « pour alimenter les 9 milliards d’êtres humains qui peupleront la planète en 2050 quand une personne sur huit, aujourd’hui, ne mange pas à sa faim» (Le Figaro, 25-26 avril 2015).

La ressource en eau est évidemment partout centrale : cultures hors-sol, cultures économes d’eau, lutte contre le gaspillage, dessalement de l’eau de mer, amélioration des procédés d’irrigation, cultures verticales même, etc.

Il était une fois l’eau… Cette histoire commence et doit finir heureusement comme un conte. La prise de conscience collective que l’eau est bien commun de l’humanité tend à développer des comportements respectueux de l’autre, celui qui est moins bien loti, et responsables par rapport aux générations futures.

L’eau, symbolisée par l’Arbre de vie à Milan, s’embrasait paradoxalement tous les soirs et brillait de mille feux, tel un gigantesque geyser affirmant l’eau comme une promesse d’avenir.

L’Arbre de vie de l’exposition universelle de Milan.

Jean-Louis Lobstein