Michel Bonnaud, une vie d’engagement.
Le normalien « lecteur »
A l’Ecole normale de Parthenay, les normaliens avaient des tâches à accomplir, par exemple d’entretien. Michel Bonnaud s’était porté volontaire pour un service peu attractif aux yeux de ses camarades normaliens car il obligeait à se lever une heure avant les autres. C’était celui de la bibliothèque. Il a ainsi pu beaucoup lire, notamment les philosophes mais aussi des ouvrages sur la politique intérieure du Second Empire et les luttes ouvrières. « J’ai lu énormément et pourtant auparavant quand j’étais à Fontanes, je ne lisais jamais ! » a confié celui qui assure avoir pris beaucoup de plaisir dans la lecture, et lui devoir beaucoup. Plus tard, son goût pour la lecture ne s’est pas démenti au point de devenir un bénévole engagé de la bibliothèque de sa commune.
Michel Bonnaud s’est éteint à l’orée de ses 90 ans, dans la nuit du 10 au 11 mars 2024, dans son lit, au lendemain d’un week-end où il avait participé à diverses activités, à l’image d’une vie d’engagement tournée vers les autres.
Le sportif « multisport »
C’est presque par hasard, au détour d’une phrase, que Michel Bonnaud révèle qu’il a remporté une coupe de France. Il avait 17 ans et jouait en sport scolaire au handball dans une sélection des Deux-Sèvres. La finale avait eu lieu à Reims contre une équipe de Côte d’or. Le handball se pratiquait alors à 11 sur un terrain en herbe.
Michel Bonnaud a même pratiqué plusieurs sports. Certes, quand il était au lycée, il raconte qu’on l’avait accepté « pour couper les citrons… » Mais il a bel et bien joué au foot, « comme avant-centre alors que je mettais 15 secondes aux 100 mètres », ainsi qu’au rugby, » en mêlée avec mes 75 kilos ! » Il a aussi touché à l’athlétisme, mais « un peu seulement ». Il a participé à des championnats d’académie, » en relais 4 fois 100 mètres ». En finale, dernier relayeur, confie-t-il en souriant, il avait été « coiffé sur le fil… »
Plus tard, il est resté proche du sport en s’occupant du football à Beauvoir, et notamment des équipes jeunes.
Le musicien « amateur »
« Ma mère avait un violon ! » C’est sans doute ce qui explique que Michel Bonnaud ait appris assez tôt à en jouer au point de prendre la musique en option au Bac en 1955 et d’obtenir ainsi quelques points décisifs… Il sera même sollicité par les Pibolous d’André Pacher. « C’était trop loin, les répétitions étaient à La Mothe ! « .
Son violon, Michel Bonnaud l’avait conservé. Récemment, il l’avait offert à l’orchestre de musique baroque Amatini pour permettre à un musicien qui n’en possédait pas de s’entrainer…
L’ancien d’Algérie
Le 14 juillet est une date marquante pour Michel Bonnaud. Il est en effet parti en Algérie le 14 juillet 1959 et il en est revenu le 14 juillet 1960. Il passe trois semaines à l’école militaire et sort breveté d’état-major. Comme pour beaucoup, cette période l’a beaucoup impacté. Parmi les multiples souvenirs conservés, l’un est particulièrement douloureux. Il était en petite Kabylie. « Le colon m’appelle pour prendre le commandement d’une section et partir en patrouille sur un piton ». Et Michel Bonnaud, plus soucieux de la vie des hommes que des ordres, de discuter sur la qualité des repas. « Venez voir ce que mange et fait la patrouille et après vous adapterez les ordres » Alors que Michel Bonnaud est à Issoire, sa section est victime d’un assaut, un seul survivra….
Réserviste par la suite, Michel Bonnaud, qui était passé en Algérie par l’école de formation des cadres à Cherchell, poursuivra son engagement citoyen en devenant auditeur de la défense nationale et adhérent d’une association d’anciens combattants. Instituteur laïc, certes, mais aussi très au fait des questions de défense et de sécurité.
Un « petit instituteur » de caractère
« Je n’avais pas le niveau, j’ai commencé au CP, et, à l’ancienneté, j’ai fini au CM2 ! » Un humour très « pince sans rire », et qui peut arriver à l’improviste dans la conversation, fait partie des traits de personnalité de Michel Bonnaud. Son premier poste se situe à Irleau, « un an », lui « le mi-plainaud mi-maraichin » comme il se définit car il est né à la Rochénard.
Anecdote « Vous avez combien d’élèves pour le certificat d’études ? », lui demande un jour l’inspecteur. « 7 ! » répond Michel Bonnaud. « Et combien peuvent l’avoir ? » ajoute l’inspecteur. « Un ! » assure Michel Bonnaud. Six obtiennent le certificat d’études, un seul échoue, à cause d’une note éliminatoire en orthographe. L’enfant en question n’y voyait guère : » Ses verres étaient comme des culots de bouteille !… » Michel Bonnaud en est resté meurtri.
Il a ensuite fait la quasi-totalité de sa carrière à La Foye-Monjault. « Vous n’allez pas faire toute votre carrière à La Foye-Monjault ! » lui assène un jour un inspecteur. Et Michel Bonnaud de répondre presque benoitement : » Pourquoi ? Je vous gêne ? «
C’est peu dire que Michel Bonnaud a aimé son métier d’instituteur. « Ce sont les élèves qui m’ont appris le métier, assure-t-il, quand quelque chose ne marchait pas, je cherchais un autre moyen… » Michel Bonnaud étaitprésent en 1963 au congrès national que Célestin Freinet tenait à Niort.
L’Amopalien « au cahier calligraphié »
Michel Bonnaud s’est vu remettre les Palmes académiques avec les grades de chevalier en 1987 puis d’officier en 1992. Et, pendant de nombreuses années, il s’est investi au sein de l’association départementale des palmes académiques, l’AMOPA. Tous ceux qui l’ont côtoyé sont restés admiratifs par son cahier d’écolier dans lequel il écrivait des comptes rendus avec force pleins et déliés comme on n’en fait plus… Il était resté attentif à l’association écrivant même des mots de compliment sur ses actions et son esprit. Michel Bonnaud avait aussi été décoré de l’ordre du mérite national avec les grades de chevalier puis d’officier.
Un homme engagé
Son épouse Josiane, elle aussi institutrice, a partagé sa vie et son travail, le rejoignant très tôt à l’école de La Foye-Monjault. Ils ont eu une fille, Marie Christine, devenue infirmière, et un garçon, Michel Eric, qui s’est battu pendant des années contre des problèmes de santé. Michel Bonnaud s’est ainsi beaucoup investi dans le milieu associatif de la santé et du social. Il a rejoint très tôt une association de service de soins infirmiers à domicile, contribuant à la création de celle de Plaine et marais, et s’impliquant fortement dans celle de l’UNAFAM, une association dont le but est l’écoute et le soutien des familles ayant un proche souffrant de troubles psychiques. Ce fils est décédé quelques mois avant son père…
L’engagement de « Monsieur Bonnaud », pour les uns, ou « Michel », pour les autres, s’est aussi manifesté dans son attachement à sa commune de La Foye-Monjault, avec plusieurs mandats de conseiller municipal ou maire adjoint, et de correspondant de presse du journal régional, activités qui lui permettaient de conjuguer à tous les temps son goût pour le lien social.
Lors du 19è congrès ICEM en avril 1963 au lycée technique (devenu Paul Guérin), Michel Bonnaud a fait partie des instituteurs présents.
Morceaux choisis dans le (long) discours d’introduction de Célestin FREINET :
« Notre pédagogie n’est pas un recueil de recettes mais un élan de vie. Elle est certes l’aboutissement de 35 années d’expériences coopératives, mais elle ne constitue encore que le carrefour à partir duquel vous pourrez continuer l’œuvre prospective que nous avons amorcée.
Nous apportons la preuve expérimentale que d’autres formes de travail, que des réactions plus humaines entre élèves et éducateurs, que d’autres techniques de vie sont susceptibles de redonner à notre métier cet intérêt et cet esprit sans lesquels il n’y a que formation de robots.
Dans un siècle où l’argent et le profit semblent rois, nous rappelons qu’existe encore un idéal sans lequel aucun progrès culturel ne serait possible, capable de se dévouer pour une œuvre noble entre toutes, qui fait la dignité exceptionnelle de notre éminente fonction.
Les éducateurs prennent conscience de la nécessité où ils sont de lutter en faveur de conditions élémentaires : 25 élèves par classe, modernisation de l’enseignement, formation intelligente des éducateurs, rénovation des méthodes.
Tout le monde sait que les leçons d’auto-école et les formules à apprendre par cœur ne sont valables que pour l’examen, le véritable apprentissage se faisant ensuite par le tâtonnement expérimental seul souverain.
L’apprentissage scolastique se fait par l’explication et le raisonnement et non par expérience, et c’est la grande erreur qui a compromis les progrès de l’enseignement et qui donne encore à l’école son aspect rébarbatif qui est peut-être sa plus grave tare.
« Qu’Emile ne sache rien parce que vous le lui avez appris, mais parce qu’il l’a compris lui-même ; qu’il n’apprenne pas la science, qu’il l’invente. Si jamais vous substituez dans son esprit l’autorité à la raison, il ne raisonnera plus ; il ne sera plus que le jouet de l’opinion des autres. »
La science avance exclusivement par des voies non scolastiques et ce n’est que lorsqu’elle a prouvé le mouvement en marchant que les théoriciens lui trouvent une savante justification.
Je ne répéterai jamais assez que nous donnons trop de pouvoir aux mots. Avec notre éducation babillarde, nous ne formons que des babillards.
Teilhard de Chardin disait que « peu de gens se décident à abandonner un point de vue ancien pour se risquer sur une notion nouvelle. » On comprendra que nos idées et notre pédagogie n’avancent que lentement.
Comme on demandait à un étranger qui critiquait notre pédagogie : Avez-vous lu les œuvres de Freinet ? Avez-vous vu fonctionner une classe Freinet ? Il fit cette réponse « Non, mais je suis contre «
La sociologie admet aujourd’hui que, en modifiant le climat et les conditions de travail, on modifie automatiquement -en bien ou en mal – le comportement individuel, familial, social et politique des individus.
Nos techniques libèrent les enfants qui se redressent, s’interrogent, s’activent et créent. Des rapports plus humains s’établissent. S’il était vrai que l’enfant n’est ni paresseux, ni menteur, ni tricheur, et que ce sont les conditions de sa vie dans son milieu – y compris le milieu scolaire – qui peuvent le rendre tel, ne faudrait-il pas avoir recours, tout de suite, à une discipline plus humaine ?
Si les conditions d’alimentation, d’hygiène et de santé physiologique se sont améliorées, jamais nos enfants n’ont été aussi malmenés. Les déséquilibres, la nervosité, la délinquance, la déficience vont s’aggravant dangereusement : mécanisation excessive et disparition de la nature et des espaces verts, exigences « démentielles » des programmes et des examens, surcharge des classes, locaux non fonctionnels, radio et télévision sont en train d’attenter, d’une façon peut-être irréversible, à la formation intellectuelle, morale et humaine de la masse des enfants.
Il faut dénoncer une maladie nouvelle qui pourrait bien hélas ! signer la désagrégation et le déclin de notre jeunesse : la pratique aujourd’hui généralisée de l’image animée et plus particulièrement la télévision.
La télépédagogie sera peut-être même favorablement accueillie par les maîtres traditionnels parce qu’elle fonctionnera dans l’esprit même de la scolastique qu’elle ne fera que renforcer. Il est plus facile de tenir les enfants tranquilles devant l’écran et d’appuyer sur un bouton que de faire fonctionner leur intelligence et battre leur cœur.
Il pourrait pourtant y avoir une télépédagogie éducative et formative. Nous allons essayer de la définir au cours de ce Congrès.
Serons-nous hommes ou robots ? «
Guy Brangier