Naissance de la MAAIF
La MAIF (Mutuelle Assurance des Instituteurs de France) dont le siège se situe à Niort (Deux-Sèvres), est l’une des toutes premières mutuelles d’assurance françaises. Installée au chef-lieu des Deux-Sèvres depuis l’année 1936, bien qu’ayant été fondée en 1934 à Fontenay-le-Comte (Vendée), cette entreprise a puissamment contribué à la transformation contemporaine de la morphologie urbaine, de la composition sociale et de la mentalité niortaises. Originale, à la fois par son champ d’action exclusivement tertiaire et par sa forme mutualiste, elle est, en effet, la plus ancienne et en quelque sorte l’inspiratrice des autres mutuelles, nées dans l’après-guerre (MAAF, MACIF, SMACL) qui, toutes, concourent à faire aujourd’hui de la ville de Niort, la capitale des mutuelles d’assurance françaises.
La création de la MAAIF
La naissance
La MAAIF (Mutuelle assurance automobile des Instituteurs de France) est née le 17 mai 1934. Au début des années 30, les instituteurs français, bien que ne bénéficiant pas de salaires mirobolants, commençaient à pouvoir acheter leurs premières voitures. Elles étaient modestes (Simca 5, Peugeot 201 ou autre Fiat Comète) mais robustes.
L’assurance n’était pas obligatoire (elle ne le devint qu’en 1958) mais rapidement, on s’aperçut que les accidents étaient fort coûteux et qu’il était plus prudent de s’assurer volontairement.
Dans le même temps, les combats politiques étaient très vifs entre les forces de gauche et les mouvements d’inspiration fasciste qui voyaient leur influence croître. La grosse majorité des instituteurs, passés par le moule de l’Ecole Normale, se situait tout naturellement à gauche et faisait l’objet d’attaques virulentes de la part des forces conservatrices.
Peu étonnant, dans ces conditions, que les instituteurs n’aient éprouvé aucune sympathie envers les assureurs privés auxquels ils étaient contraints de recourir s’ils voulaient se protéger des conséquences fâcheuses d’un éventuel accident. D’autant que certains assureurs privés n’hésitaient pas à financer des campagnes de presse calomnieuses à l’endroit de l’école publique et laïque, ainsi qu’en témoignait Edmond Proust en 1937 : « Qu’ils sachent donc, ces Messieurs, que seule la répugnance à leur procurer des bénéfices utilisés en campagnes de presse contre l’Ecole laïque et la démocratie, nous a poussés à nous libérer de leur emprise. C’est pour mener, sur le front social, avec nos modestes moyens, la lutte contre le monstre capitaliste, que nous avons fondé la MAAIF. » (Editorial, Le guide la MAIF 1937).
C’est pourquoi, au début des années 30, furent lancés, dans plusieurs départements, des appels au regroupement des instituteurs afin de promouvoir une société d’assurance mutuelle. Le premier appel en ce sens fut signé par Jutier qui le publia dans « l’Entraide coopérative », émanation du mouvement Freinet. Son appel fut relayé, en Deux-Sèvres, par Jean Lauroua et Edmond Proust, tous deux enseignants à Saivres. Dans le même temps, des instituteurs vendéens développaient une même ambition, en s’inspirant de l’exemple d’une mutuelle de marchands de bestiaux qui fonctionnait sans problèmes à Loulay (Charente-Inférieure) depuis 1898.
Le rassemblement et la coordination de ces initiatives aboutirent à la création de la Mutuelle Assurance Automobile des Instituteurs de France à Fontenay-le-Comte le 17 mai 1934, par 301 sociétaires ayant versé leurs cotisations sans avoir pu toujours résilier leur ancien contrat. Ils manifestaient ainsi à leur œuvre un attachement qui allait se révéler sans failles au fil des années. Le premier président, également directeur, était Fernand Braud, le vice-président Edmond Proust.
La MAAIF se cherche
« Nous affirmons que notre volonté d’émancipation, la netteté de nos tendances anticapitalistes et le caractère révolutionnaire de notre initiative basée sur l’esprit solidariste des camarades pensant comme nous, furent les causes déterminantes de notre succès. » devait déclarer quelques années plus tard Edmond Proust (cité par Jean Lauroua, La MAIF a cinquante ans, MAIF, Niort, 1984 p. 21).
Pourtant, les premières années ne furent pas toujours faciles et il fallut aux pionniers toute l’énergie que leur procurait la foi en leur œuvre pour vaincre les obstacles successifs.
Il fallut vaincre le scepticisme des syndicats d’enseignants qui, au tout début, doutaient de la réussite de l’opération et qui n’apportèrent véritablement leur appui qu’après que les dirigeants et les résultats financiers de la jeune mutuelle ne vinrent leur démontrer que l’entreprise était viable.
Il fallut combattre la propagande hostile des assureurs privés qui n’admettaient pas la concurrence d’une mutuelle qui se voulait résolument anticapitaliste.
Il fallut remplacer certains des premiers dirigeants qui, s’ils avaient fait avec ardeur un travail de pionniers, se trouvaient dépassés par les nouvelles charges de gestion qui s’imposaient avec la croissance des effectifs et l’augmentation du volume des fonds recueillis. Proust remplace alors Braud à la présidence et, à la suite de ce remaniement interne, est prise, à l’Assemblée Générale d’avril 1936, la décision de transférer le siège social de Fontenay-le-Comte à Niort. Décision lourde de conséquence, car elle amorçait le processus de transformation d’une ville et de sa région.
L’essor
L’année 1937 marque un tournant dans la première partie de la vie de la Mutuelle des Instituteurs. Une fois réglés les problèmes du début, une fois affirmée la vitalité de l’entreprise dans le milieu enseignant, une fois établi le siège social, la MAIF connut une période de croissance très nette qui couronnait les efforts consentis par ses promoteurs et l’équipe dirigeante.
De 1937 à 1940, la mutuelle connut une expansion prometteuse. Le nombre d’adhérents, qui était de 301 à la création atteignait 35 591 en 1940. Il est vrai qu’entre-temps, et à la suite d’un débat homérique, le corps des inspecteurs primaires avait été admis au sein de la mutuelle. Le volume des cotisations qui se montait à 116 000 F à la fin de la première année dépassait largement les treize millions de francs pour l’exercice 1939.
Quant aux salariés, au nombre de cinq en juillet 1935, ils étaient 55 en 1940.
Le développement de la mutuelle se marqua aussi par la construction de l’immeuble qui devait abriter le siège social. En effet, depuis son transfert à Niort, le nombre des affaires traitées, et donc des employés, était en accroissement constant. Les locaux loués rue de la Gare se révélaient insuffisants. Le conseil d’administration proposa donc la construction de la « Maison de la MAAIF ».
Cette proposition fournit à certains délégués de l’Assemblée Générale de 1937 l’occasion de remettre en cause le choix de Niort comme siège central de la jeune mutuelle mais le président l’emporta à une assez large majorité. La souscription fut un tel succès et l’immeuble fut si vite construit (au 116 de l’avenue de Paris), que tous les employés y étaient installés au début d’octobre 1938. Désormais, la place de Niort dans la vie de la mutuelle ne serait plus remise en cause.
Dans tous les domaines, la croissance de la MAAIF paraissait donc prometteuse. Mais la guerre devait considérablement freiner cette évolution.
La MAAIF face à la guerre
La deuxième guerre mondiale porta à la MAAIF de rudes coups qui auraient pu lui être fatals sans la volonté acharnée de quelques-uns de ses militants les plus actifs, décidés à la sauver.
L’adaptation à l’état de guerre
Dès les premiers jours de la guerre, et bien avant que les hostilités ne fussent déclenchées, les ennuis commencèrent pour la mutuelle. En effet, l’arrêt des correspondances au début de la mobilisation et la mobilisation elle-même, qui priva l’entreprise de quelques-uns de ses dirigeants, entravèrent le développement normal de l’activité.
Plus encore, les hostilités perturbèrent la bonne marche de la MAAIF. A leur arrivée à Niort, les autorités militaires allemandes réquisitionnèrent une partie de l’immeuble de l’avenue de Paris, pour y installer plusieurs de leurs services. En échange, la MAAIF obtint une indemnité de réquisition.
Pendant la guerre, plusieurs dirigeants, déjà éloignés de Niort par la mobilisation, furent faits prisonniers. Parmi eux, le président Edmond Proust, qui fut enfermé à l’Oflag XIII B de Nuremberg. Le conseil d’administration n’eut de cesse d’obtenir sa libération et celle des autres administrateurs retenus en Allemagne. Proust fut libéré en août 1941 au titre d’ancien combattant de la guerre 1914-1918. Il se consacra à nouveau à « sa » mutuelle avec cette énergie remarquable qui lui permit de mener de front la direction effective de l’entreprise et son métier d’instituteur tout en s’engageant dans la Résistance au point de devenir bientôt chef départemental de l’OCM, puis de l’AS, enfin des FFI. Longuement traqué par les Allemands, il faillit être pris par la Gestapo dans son école de Perré le 18 février 1944. Dès lors, il disparut, caché par des amis à la ferme de la Bidolière (Saint-Martin de Saint-Maixent) et les employés de l’avenue de Paris ne revirent plus sa silhouette familière, ployée sur son vélo, avant la libération du département au début septembre 1944.
Son retour, en août 1941, avait contribué à ramener un peu de sérénité dans une entreprise qui venait de vivre des moments difficiles. Quelques mois plus tôt, en effet, la mutuelle avait dû affronter l’une des affaires les plus graves qu’elle ait connu depuis sa naissance et qui aurait pu amener une scission en son sein.
La coupure du pays en deux zones, à la suite de l’armistice avait, en effet, considérablement gêné la vie de la mutuelle en rendant très difficiles les liaisons postales et financières entre France occupée et France non occupée. Privés de relations avec Niort, les délégués de zone libre avaient cru bon, dans le but de maintenir la mutuelle, de créer une direction autonome en zone Sud, opérationnelle dès le 15 novembre 1940. Mais en décembre, des lettres de Niort demandaient la suspension de ces décisions. Entre-temps, les administrateurs de zone occupée, soucieux de ne pas permettre l’éclatement de fait de la mutuelle, avaient multiplié les démarches pour obtenir l’ouverture d’une simple agence en zone non occupée – à Limoges – sous contrôle des administrateurs niortais régulièrement élus avant la guerre, qui bénéficieraient de laissez-passer, les transferts de fonds de Niort à Limoges étant par ailleurs autorisés. Après de nombreuses rencontres et de vifs débats entre représentants des deux zones, la direction autonome de Lyon fut dissoute le 6 février 1941.
L’unité de la mutuelle était rétablie, mais l’affaire avait laissé quelques traces chez des militants. Dès son retour, Proust s’employa à panser les blessures. Elles furent d’autant plus vite oubliées que les responsables de la zone Sud, associés aux responsables niortais au sein du conseil d’administration, durent faire face à d’autres problèmes préoccupants.
La réduction de l’activité
L’année 1941 marqua, en effet, pour la MAAIF le début d’une période continue de régression de son activité. Frappée de plein fouet dès le début de la guerre, elle ne connut à aucun moment d’amélioration passagère ni de redressement provisoire. Pire, la situation financière continua à se dégrader jusqu’en 1944.
Le montant des cotisations qui s’élevait à 11 687 524 francs en 1940 passait à 969 773 francs en 1944, soit une réduction considérable – douze fois – du volume des affaires traitées par rapport à la première année de guerre. En 1944, le montant total des recettes (1 950 549 francs) était largement inférieur à celui de 1936, deuxième année de fonctionnement de la mutuelle.
Le total des adhérents à la mutuelle avait considérablement diminué dès 1941. Au nombre de 35 591 en 1940, ils n’étaient plus que 11 448 en 1941 mais ils se maintinrent autour de 10 000 tout au long de la guerre.
Conséquence de cette situation : la MAAIF dut remercier une bonne partie de son personnel. De septembre 1939 à juin 1941, plusieurs séries de licenciements se succédèrent, en particulier en décembre 1940 (15 dactylos) et en juin 1941 (10 personnes). L’effectif total de 55 employés en 1940 était redescendu à 13 en février 1944.
Pourtant, malgré cette réduction sévère de son activité et de sa puissance financière, jamais les jours de la mutuelle ne furent menacés.
D’abord et avant tout, parce que née d’une volonté et d’un combat anticapitalistes, la mutuelle était soutenue par un réseau de militants à toute épreuve, décidés à tout pour sauver leur mutuelle. Ceux-là continuèrent donc à s’assurer à la MAAIF même si leur voiture restait au garage.
Certes, les contrats avaient été revus et les garanties automobiles limitées aux seuls risques vol et incendie, mais il fallait une bonne dose de militantisme pour continuer à assurer volontairement un véhicule qui ne servait jamais ou presque.
Conscient de cela, on décida, sous l’impulsion de Proust, la création d’un autre type de contrat, plus adapté à ces temps de guerre : celui de l’assurance-vélo (septembre 1941), ainsi qu’une assurance temporaire pour les adhérents bénéficiant de permis temporaires de circulation (juillet 1942). Ces mesures permirent de redresser quelque peu la courbe du nombre d’adhérents.
Le deuxième élément décisif qui explique le maintien de la mutuelle dans les circonstances les plus difficiles, c’est la gestion saine et rigoureuse dont elle fit l’objet dès cette époque. En particulier dans l’utilisation des placements qu’elle a pu réaliser avant la guerre et même pendant cette période difficile, où les rentrées sont certes modestes, mais les risques encore plus. A cet égard, il est frappant de constater que, de 1942 à 1944, les recettes financières, essentiellement constituées par les revenus des placements, représentent entre 40 et 50 % des recettes de l’entreprise.
Dans le but d’utiliser les réserves disponibles et d’améliorer la sécurité de ces placements, jusqu’alors exclusivement constitués de valeurs mobilières, Proust proposa même, en juillet 1943, d’acheter des propriétés immobilières. Ainsi fut fait en décembre de la même année avec l’acquisition d’une exploitation agricole de 80 hectares à Longèves, en Charente-Inférieure. Cette politique prudente porta ses fruits en assurant la bonne santé financière de l’entreprise et en permettant sa survie. L’un des administrateurs le soulignait nettement dans son rapport à l’Assemblée Générale d’avril 1943 :
« Malgré tout, malgré la diminution du nombre des assurés complets, malgré le peu de rendement actuel de l’assurance-vélo, malgré l’ascension rapide et continuelle des prix qui augmentent dans de fortes proportions le coût moyen des sinistres et ne permet pas, en dépit d’une sévère compression, une diminution massive des frais généraux, notre situation financière est telle que la vie de la société, si elle est des plus modestes, ne se trouve aucunement compromise par les événements actuels. » (Compte rendu de l’Assemblée générale du 21 avril 1943, Registre des délibérations de la MAIF).
La lente reprise de l’après-guerre
Revenu à la tête de la mutuelle après avoir dirigé les opérations de libération des Deux-Sèvres par la Résistance et les mouvements de harcèlement menés par le 114e RI sur le front de La Rochelle, Edmond Proust était conscient que la reprise des affaires s’effectuerait lentement. A l’Assemblée Générale de mars 1945, il avertissait les délégués en ces termes :
« L’ère des difficultés n’est certainement pas close, mais la liberté nous a apporté l’espoir d’une reprise prochaine de notre activité. En attendant, nous continuerons, comme nous l’avons fait au cours de cette dure période, et avec le concours dévoué de tous ses adhérents, à maintenir vivante notre société pour qu’elle puisse encore, dans l’avenir créer – en même temps qu’elle leur apporte une certaine sécurité – un lien de camaraderie et de solidarité entre les membres de la famille enseignante. » (Compte rendu de l’Assemblée générale du 29 mars 1945, registre des délibérations de la MAIF).
De fait, si dès 1946, le montant des cotisations dépassait largement celui de 1939 (en raison de l’inflation), il fallut attendre l’année 1949 pour que le niveau record des adhésions (34 309) atteint en 1939, soit dépassé avec 38 089 sociétaires.
Peu à peu, l’essence revenue, les chaînes de fabrication d’automobiles étant remises en marche, le niveau de vie s’élevant, la MAAIF put reprendre ses activités.
Ce n’était que le début d’une longue période de croissance. Puissamment aidée par la prospérité économique et la démocratisation de l’automobile dans les années 60 et 70, la MAAIF, devenue la MAIF en 1969, allait voguer gaillardement vers le million de sociétaires – atteint en 1979 – et les milliards de chiffres d’affaires.
Le pari d’Edmond Proust et de ses camarades était largement gagné.
Michel Chaumet