Quand porter la culotte…

Qui se souvient de cette féministe qui fut la première femme à tenter d’abroger l’ordonnance de 1800 qui interdit aux femmes de porter un pantalon sans autorisation du Préfet de police ( « une permission de travestissement »).  Seuls les hommes avaient le droit de porter la culotte, marque de domination patriarcale. Candidate aux élections législatives à Paris, Marie Rose Astié de Valsayre  revendiquait l’égalité des salaires, l’accès pour les femmes à toutes les études et professions, et le droit de vote féminin.

Epouse de médecin, elle étudie la médecine, est  infirmière pendant la guerre franco-prussienne de 1870-71, ainsi que  violoniste et compositrice, auteure entre autres de mazurka pour piano, berceuse enfantine et chanson à boire avec choeur!

Cofondatrice de la Ligue de l’affranchissement, elle est évoquée dans un article du journal Le courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres en 1898:

« Les femmes et la culotte« 

La Ligue de l’affranchissement des femmes veut absolument que les femmes délaissent la jupe et portent la culotte.

L’excentrique secrétaire générale de ladite Ligue vient d’adresser aux députés la requête que voici:

Messieurs les députés,

Il y a dix ans, lors de l’incendie de l’Opéra-Comique, me basant sur les impedimenta des jupes qui, en tout sinistre, coupent la retraite et multiplient les victimes, j’ai eu, au nom de la Ligue de l’affranchissement des femmes, l’honneur de réclamer de vous  » la liberté du costume, qui diminuerait les risques, tout au moins pour celles qui préfèrent la simple sécurité aux dangereuses fanfreluches.

On me répondit que c’était l’affaire du préfet de police, lequel répondit que cela ne le regardait pas…

Que l’interdiction du port de la culotte pour la femme vienne d’ici ou de là, elle n’en existe pas moins avec ses effroyables conséquences, tout au moins intéressant de fixer à qui incombe le droit de suppression.

Estimant donc que votre devoir est d’intervenir, ne serait-ce que pour inviter M.le préfet à « faire le nécessaire », je viens renouveler la même demande, espérant qu’après l’affreuse catastrophe du Bazar de la Charité, elle aura plus de succès.

Veuillez agréer, etc.

La secrétaire générale de l’affranchissement.

Astié de Valsayre »

 Le 4 mai 1897, un incendie s’était produit  lors d’une vente de charité dans le Bazar de la Charité, près des Champs Elysées,  où se pressaient  plus de 1 200 personnes, notamment de l’aristocratie. Le clou du spectacle était le cinématographe des frères Lumière, qui fut à l’origine de l’incendie (la lumière provenait d’une flamme brûlant avec de l’éther dont les vapeurs se sont embrasées). Les gens se sont battus pour accéder aux deux étroites  issues de la salle de projection, et des femmes gênées par leurs longues robes se sont retrouvées piétinées. Bilan: 129 morts, surtout des femmes, dont la soeur de l’impératrice d’Autriche, et plus de 300 blessés.  

Il faudra attendre les années 1960 et la pratique du sport ( cyclisme, équitation..) pour que les femmes portent couramment le pantalon. Quant au décret de 1800, il n’a été abrogé qu’en janvier  2013 !

Sources: Histoire des modes et du vêtement du Moyen Age au XXIème siècle,  sous la direction de Denis Bruna et Chloé Demey 2018;  journal le Courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres (AD79). Ce faits divers tragique est évoqué dans un roman de Gaëlle Nohant « La part des flammes« , publié en 2014, fiction historique qui mêle le destin de trois femmes rebelles de la fin du 19è siècle, une duchesse ( soeur de Sissi), une comtesse et une jeune femme tourmentée, ainsi qu’un jeune et beau journaliste accusé d’avoir piétiné des corps. Il est aussi évoqué dans la série télévisée de TF1 « Le bazar de la Charité » , en 2019, en partie inspirée du livre, ainsi que dans la bande dessinée « La part des flammes » du poitevin Didier Quellat-Guyot, publié en 2022.

Guy Brangier