Résistance dans le thouarsais
LES PREMIERS RESISTANTS : LE GROUPE CHAUVENET
C’est dans le Thouarsais que l’on trouve, très tôt, les premières traces d’action de résistance contre l’occupation allemande en 1940.
En effet, dès juillet 1940, c’est à dire moins de deux mois après l’entrée des Allemands dans le département, Gabriel Richetta, percepteur à Thouars constitue un petit groupe qui se fixe comme premier objectif de récupérer les armes et les munitions abandonnées dans le sillage de l’armée française en retraite.Puis, au mois de septembre 1940, le docteur André Chauvenet, chirurgien à l’hôpital de Thouars, de retour en zone occupée après sa démobilisation, veut, lui aussi, «jeter les bases d’une organisation antiallemande». Il découvre que Gabriel Richetta a aussi entamé la création d’un groupe de résistance. Spontanément, celui-ci se met à la disposition de Chauvenet, et c’est ensemble qu’ils continuent à prendre des contacts dans les villages du nord des Deux-Sèvres, mais aussi dans la Vienne et l’Indre et Loire.
Avec ces quelques membres, ils continuent la récolte des armes abandonnées et les entreposent dans différents endroits parmi lesquels figurent déjà Tourtenay, chez la famille Pichot, et Auboué chez Armand Chudreau, alors que d’autres en conservent chez eux de petites quantités.
Le groupe Chauvenet s’étoffe de façon décisive en mai 1941 car le chirurgien thouarsais reprend contact avec Jean-Jacques Auriac, de Bordeaux, – qu’il connait bien pour avoir fait ses études avec lui à la faculté de médecine de cette ville – afin de développer l’action entreprise dans le sens du renseignement.
Titulaire d’une chaire à la faculté de médecine et médecin résident à l’institut Bergonié de Bordeaux, Jean-Jacques Auriac est lui-même en relation avec un petit groupe constitué et dirigé par André Bergez. Ce tissu de relations est l’esquisse d’un réseau plus conséquent qui va se tourner vers le renseignement au profit des Alliés.
Mais il manque une liaison avec les Anglais et la France Libre, bien que Chauvenet se soit pourtant «mis en quête pour obtenir ce contact », chose difficile et dangereuse, qui lui fait avouer : «Que de difficultés, que de pas, de contre pas, de faux pas !». Cependant ses efforts ne vont pas tarder à aboutir car en mars 1941 son groupe obtient le contact avec Londres par l’intermédiaire de la Confrérie Notre Dame ou CND, dirigée par Gilbert Renault, alias Rémy André Chauvenet
Chauvenet le rencontre à l’initiative d’un de ses amis, Stanhope de la Débuterie, qui habite au château de Rochetréjoux près de Chantonnay, en Vendée. De la Débuterie ne connait d’ailleurs Rémy que depuis peu de temps car ce dernier, qui veut installer la centrale de son réseau dans la région de Nantes, recherche un lieu d’où un radio peut émettre avec le maximum de sécurité.
Lors de l’entrevue entre Chauvenet et Rémy, il est question de l’acheminement d’un poste émetteur, dénommé Cyrano, que Rémy a pu faire entrer en Espagne grâce à la valise diplomatique de Grande Bretagne. Ce poste sera servi par le « radio » Bernard Anquetil, rebaptisé par un mauvais jeu de mots sur son prénom du pseudo de Lhermitte.
Les premières émissions ont lieu depuis un château inoccupé situé à Auboué, et ce grâce à Armand Chudreau, fermier de la propriété, qui fait partie du groupe du docteur Chauvenet. C’est de cette grande maison, hermétiquement close, et à l’insu de son propriétaire, que Lhermitte transmet, pendant plusieurs semaines, les messages radio qui lui sont portés avant d’être chiffrés, et que les instructions de Londres arrivent à destination de la Résistance française.
Repéré par les Allemands, Cyrano est transféré à l’hôpital de Thouars où Lhermitte se rend chaque jour pour des consultations fictives destinées à dissimuler sa véritable identité. Mais, ce subterfuge devenant trop visible, Bernard Anquetil est engagé comme infirmier par le docteur Chauvenet et continue ses émissions à partir d’une petite pièce attenante à la salle de radiologie du docteur Colas. Ces émissions durent fréquemment plus de quatre heures, car les messages à transmettre sont abondants.
Cependant des voitures goniométriques croisent dangereusement autour de l’hôpital de Thouars et Rémy décide à nouveau de transférer Anquetil et son poste émetteur à Saumur. Mais des propos imprudents joints au repérage goniométrique entrainent l’arrestation d’Anquetil en pleine émission le 30 septembre 1941. Les Allemands cernent la maison et se dirigent droit vers la pièce où il se trouve. Lhermitte a le réflexe de jeter son poste par la fenêtre afin de le détruire, avant d’être lui-même maîtrisé, blessé par balle en tentant de s’enfuir, et matraqué au point de lui faire éclater un œil. Il refuse de parler et est fusillé le 24 octobre 1941 au Mont Valérien.
Dès le 25 juillet 1941, Chauvenet est arrêté chez lui par deux agents de la Sipo accompagné d’un policier français. Cette arrestation trouve son origine dans le noyautage dont est victime le groupe bordelais de Jean Auriac. Aussitôt après son arrestation, le docteur Chauvenet est conduit à Bordeaux pour être interrogé. Mais il sait que le professeur Auriac s’est suicidé afin de ne pas parler. Après de longs interrogatoires et malgré sa confrontation avec André Bergez qu’il dit ne pas reconnaître, il est relâché faute de preuves, non sans être accompagné de loin par un policier en civil sur son chemin de retour.
A cette période, Rémy demande au groupe Chauvenet de trouver un terrain sur lequel puisse se poser un avion devant assurer des liaisons avec l’Angleterre, ainsi que des endroits sur lesquels des parachutages pourraient être effectués. Le docteur Colas, alias Nick , résistant et collègue de Chauvenet est chargé de cette recherche : un terrain, situé au lieudit Le moulin à eau, peut convenir à des opérations de parachutage et est homologué sous le nom de code de «Nick Pernod ».Des postes de radio sont parachutés au lieu convenu : cinq les 2-3 août ; quatre les 17-18 septembre et à nouveau sept les 7-8 octobre. Plusieurs postes sont remis à des membres de la CND actifs sur Bordeaux. Le 4 novembre 1941, le terrain de Tourtenay, «Nick Pernod», est une fois encore utilisé pour le parachutage de Robert Delattre, alias Bob, nouvel opérateur radio envoyé en remplacement d’Anquetil.
Mais l’activité du groupe Chauvenet a éveillé les soupçons et le 21 janvier 1942, le docteur Chauvenet et le docteur Colas sont arrêtés par la Sipo. Le premier est conduit à Niort, mis en cellule pendant 36 heures sans nourriture, avant d’être acheminé vers Fresnes où il reste près de neuf mois avant de connaître les épreuves de la déportation. Quant au docteur Colas, il est dirigé directement sur Fresnes d’où il a la chance d’être libéré le 13 juin suivant.
L’OS 680 DE THOUARS
Autre illustration d’un des premiers groupes résistants : l’OS 680 de l’usine Rusz, implantée à Thouars. Dans le cadre du transfert vers le Sud-ouest des industries stratégiquement importantes, et notamment de l’aéronautique, quelques usines de la région parisienne ont été transférées dans les Deux-Sèvres en 1939-1940. Parmi celles-ci, l’usine Rusz, qui fabriquait à Asnières des pièces pour avions et en particulier des trains d’atterrissage, avait été relogée dans des bâtiments dépendant du château de Thouars.
En même temps que le matériel, était donc arrivé un certain nombre d’ouvriers. Quelques-uns d’entre eux, qui appartenaient au Parti Communiste, étaient membres de l’Organisation Spéciale 680, structure clandestine propre au PCF, portant un numéro permettant de connaître, pour les initiés, son origine géographique. Cette organisation a été créée au moment de la «première clandestinité» imposée aux militants communistes après l’interdiction du PCF décidée en septembre 1939.
Au début de 1940, des ouvriers de la région thouarsaise sont embauchés et, lorsque les Allemands prennent le contrôle de la production, celle-ci est destinée à la Luftwaffe et plus particulièrement aux Messerschmitt.
C’est dans le courant du premier trimestre 1941, que certains des ouvriers venus avec cette usine, et déjà membres de l’OS 680, approchent quelques-uns de leurs nouveaux collègues de travail dans le but de créer un groupe plus conséquent qui pourrait agir contre les occupants. Ce groupe est renforcé par l’embauche de Maxime Bacquet (Guy), également contremaître, venu se réfugier dans la région thouarsaise qu’il connaît d’avant-guerre pour échapper à des recherches policières en région parisienne
Dès la fin du premier semestre 1941, le recrutement est pratiquement terminé et 24 hommes et femmes constituent alors cette unité résistante. Même si l’ossature du groupe est représentée par les employés de l’usine Rusz, tous ne sont pas ouvriers et l’on trouve parmi les membres de l’OS 680, surtout au niveau des femmes, des professions très variées qui dénotent l’emprise qu’a su créer le groupe sur la population thouarsaise.
L’action du groupe est de différents ordres, et va de la distribution de tracts à la récupération d’armes et de munitions en passant par les manifestations hostiles à l’occupant comme le remplacement du drapeau nazi par le drapeau tricolore sur la place Lavault le 28 mars 1941, pour protester contre l’envahissement de la Yougoslavie, la fabrication d’engins explosifs ou encore les sabotages au dépôt de locomotives et sur les organes des trains d’atterrissage fabriqués à l’usine.
Malheureusement les Allemands sont aux aguets. Ils surveillent ce groupe aidés par des éléments français placés à l’intérieur des ateliers avec la complicité vraisemblable de la direction. Une tentative de sabotage au dépôt de la SNCF, dans la nuit du 19 au 20 avril 1942 déclenche une enquête de la Police Judiciaire d’Angers avec la collaboration de la police de Thouars (section de la sûreté), et de la gendarmerie.
Le 29 mai 1942, la police procède à trois arrestations. Le 5 juin, une rafle effectuée à l’heure du changement d’équipe, en début d’après-midi, permet d’arrêter à l’usine 17 membres du groupe, les policiers et les gendarmes n’ayant qu’à appréhender ceux qu’ils recherchent parmi les ouvriers qui partent et ceux qui arrivent. Trois autres sont encore arrêtés le 8 juin, et 23 des 24 membres de cette unité de résistance sont tombés entre les mains de la police française. Les renseignements qui ont permis ces arrestations sont très précis puisque même ceux qui ne travaillent pas à l’usine Rusz sont interpellés. Les principaux responsables sont pris, sauf Maxime Bacquet qui parvient à se soustraire pour cette fois à l’emprise policière.
Ceux qui sont arrêtés le 5 juin sont conduits à pied au commissariat de police de Thouars, attachés deux par deux avec des menottes. Là, ils sont interrogés et certains sérieusement frappés. Le lendemain, un seul, Martial Coutant, est provisoirement libéré, faute de preuves, alors que tous les autres sont enfermés dans les prisons de Bressuire, de Niort et même de Saintes.
Un premier procès se déroule en juillet 1942 devant la section spéciale de la cour d’appel de Poitiers qui prononce des peines de prison et même quelques acquittements. Mais les autorités allemandes, ne trouvant pas le verdict assez sévère, reprennent immédiatement toute l’affaire avec le concours de la Sipo. Ceux qui avaient été acquittés ou libérés sont à nouveau arrêtés et transférés avec tous leurs camarades à la prison de la Pierre-Levée à Poitiers. Une nouvelle fois ils sont interrogés avec brutalité, mis au mitard, et certains sérieusement torturés. Ensuite, un tribunal militaire allemand se réunit à Poitiers du 18 au 24 novembre 1942 pour un simulacre de procès.
La sentence tombe le 24 novembre 1942. Onze des accusés sont condamnés à mort. Trois de ces condamnations seront cependant commuées en travaux forcés, entraînant la déportation des condamnés. Les autres se voient soit infliger des peines de prison mais huit membres de l’OS 680 sont acquittés faute de preuves, ce qui n’empêche pas cinq de ceux-ci, ainsi que tous ceux qui ont été condamnés à la prison, de se voir déporter en Allemagne, preuve s’il en fallait que la barbarie nazie se moque totalement du droit. Sur les 23 membres de l’OS 680 arrêtés en juin 1942, seuls trois d’entre eux sont libérés le 4 décembre. La veille, le 3 décembre 1942, à 13 heures, les huit condamnés à mort (Jean Brunet, René Drapeau, Marcel Marolleau, Jean Richet, Antoine Revéreault, Joseph Berthou, Edouard Chénier et Yves Berthou) sont conduits au camp de Biard à coté de Poitiers. Aux environs de 16 heures, et, selon la relation faite par un sous-officier allemand, «ils furent exécutés à la mitraillette, chacun par un groupe de 3 Allemands ; avant de mourir ils chantaient, les uns la Marseillaise, les autres l’Internationale, les uns dans une position de prière, les autres le poing levé». L’un avait 19 ans, trois avaient 20 ans, et le plus âgé n’avait pas 40 ans. Le groupe de l’OS 680 finissait dans le sang.
Quant à Maxime Bacquet, le chef du groupe, qui a pu échapper aux arrestations des mois de mai et de juin, il est tout de même pris par la police anti-communiste d’Angers. Son arrestation porte un coup décisif à l’organisation régionale qu’il tente de reconstituer car, sévèrement torturé, il fait des aveux complets qui entraînent l’arrestation de 23 résistants en Gironde. Malgré cela, il sera fusillé à Angers le 13 décembre 1943.
Suite aux arrestations de 1942, qui ont décimé aussi bien le groupe Chauvenet que l’OS 680, le Thouarsais, qui a eu un rôle pionner dans sa naissance, joue un moindre rôle dans la Résistance régionale Et ce malgré l’activité notable déployée par un groupe dépendant de l’O.C.M. (Organisation civile et militaire) jusqu’aux arrestations de l’été 1943 qui portent un coup très rude à ce mouvement.
Michel Chaumet